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samedi 20 août 2011

Le 11 mai 2011, dans la revue Cahier Critique de Poésie n°21, Jean Daive questionne Bernard Noël : « Peut-être qu’un écrivain ne dit pas suffisamment qu’il ne comprend pas toujours ce qu’il écrit », à quoi Bernard Noël répond : « J’ai le sentiment que, dès le départ, un trajet, une forme, un trajet et une forme définissent un espace à parcourir, et que, cet espace, je ne le connaîtrai jamais. Parce que l’ayant parcouru, à la fin, je n’en saurais pas plus sur la nécessité qu’a créée l’appelant qui me poussait à faire ce trajet ? L’appelant, c’est la première phrase et cette première phrase, pourquoi tout à coup, m’apparaît-elle comme la bonne ? Je n’en sais trop rien. Mais je sais qu’à partir du moment où la première phrase… la bonne première phrase… est posée, le trajet va se développer de manière autonome par rapport à ma volonté. Ma seule volonté est de m’obstiner à aller jusqu’au bout, mais je ne mesure ni la distance à parcourir, ni les accidents qui vont survenir. » Bernard Noël semble obéir (ou répondre ?) à une impulsion qui l’attrait vers l’avant, et l’aventure humaine que représente cet espace à parcourir est un espace en-dedans. La main qui va et file, tente de rester près de la voix, la main trace sur l’espace une voix, la main, celle-là même qui fait (bricole, jardine, laboure, cuisine ou fait la vaisselle, chatouille, caresse ou fait jouir). Le poète est sous tension, entre l’espace mental et le concret de la page, entre le perçu et le sachant, homo concretus, le poète doit saisir et faire, ayant fait bouger les dépôts accumulés dans la mémoire consciente en conflit permanent avec la mémoire inconsciente ; le poète s’échine à verser la part inconsciente dans la réalité consciente, pour cela que poème est fruit d’un labeur. Ce que Bernard Noël nomme « espace » (à parcourir) est un champ de bataille, et cette première phrase, on pourrait bien la nommer, quant est d’elle, l’attaque ; le geste soudain portant fruit d’une longue et patiente accumulation de forces vives, alliance parfaite du corps et de l’esprit, intuition travaillée par le corps, lui-même au travail, quand bien même au repos, le corps est en activité permanente et alimente l’esprit. Travail de poète est l’écoute des langages, et leur retranscription minutieuse ; une œuvre d’art ne peut venir d’un ailleurs-mystère ; le mystère de chacun est la part inconsciente agissante. Le capital accumulé dont parle Nietzsche l’est dans l’inconscient ; l’inconscient, ce vide plein. Le poète a l’intuition de cette accumulation, de cette présence active, « dans tout le corps prend place une forme de harangue vide mais déjà de plus en plus rythmée. L’art prolonge une certaine santé, curiosité, vitalité, bonnes conditions physiques, effervescence et fredon intérieur, compulsions qui cherchent à s’extérioriser mais déjà fortement cadencées dans le corps. Un corps immobile “animé”. Pensée, expression sont liées à cette énergie sans objet qui traverse un corps non affamé, non douloureux etc. C’est la faim de celui qui n’a plus faim (la chasse à vide, la voracité sans victime). C’est le bien-être ou ce pouls de vie et de sang qui visitent la tête et s’amassent sous forme de séquences linguistiques et se pressent rythmiquement jusqu’à l’extériorisation », écrit Pascal Quignard (Petits traités I, « La gorge égorgée ») Inspiration est soumission, insupportable idée du poète obéissant et écrivant sa petite dictée pseudo-divine, insupportable idée de soumission acceptée : le poète travaille la propension humaine et partagée à l’obéissance rassurante. Le corps est la phrase-attaque, attirance intuitive vers l’inconsciente accumulation ; un travail du corps dans le corps opère alors ; il importe au poète de mettre en raisonnement l’intuition… « à l’intérieur de moi un rets difficilement extricable, obscur entre les liens que les nœuds enchevêtrent, et une petite hache de cérémonie. Et hors de moi nulle création » (Pascal Quignard, op.cit, « Le misologue ») ; le poème est un rendu de tentative de raisonnement.

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