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mardi 3 mai 2011

(Petit rappel néanmoins : étymologique pour commencer : dérivé du bas latin inspiratio « souffle, haleine ; souffle créateur », le mot « inspiration » connaîtra des emplois parallèles au verbe « inspirer » (en latin classique, inspirare signifie « souffler (spirare) dans (in) », par extension figurée : « communiquer, insuffler »), essentiellement dans un contexte religieux aux premiers temps pour désigner le souffle de Dieu qui anime l’homme (lui donne la vie), et ensuite, au XIVe siècle, une « idée qui vient brusquement et spontanément » ; en France, à partir du XVIe siècle et de Montaigne, l’inspiration sera le souffle créateur qui anime les artistes, souffle considéré comme un don des dieux. Le mot « inspiration » sera repris en physiologie au sens d’ « aspirer, faire entrer de l’air dans les poumons » au XVe siècle, et sera attesté au XVIIIe. La notion, pour suivre, cependant, connaîtra des aléas complexes, en effet, dans la langue française, sa connotation chrétienne s’étendra (« Toute écriture est inspirée de Dieu », « Deuxième épître de Saint Paul à Thimotée, 3:16 »… les apôtres eurent écrit sous une dictée divine) et se mêlera au concept philosophique porté par les dits socratiques de Platon dans Ion :
« Tous les poètes, auteurs de vers épiques - je parle des bons poètes- ne sont pas tels par l'effet d'un art, mais c'est inspirés par le dieu et possédés par lui qu'ils profèrent tous ces beaux poèmes. La même chose se produit aussi chez les poètes lyriques, chez ceux qui sont bons. Comme les Corybantes qui se mettent à danser dès qu'ils ne sont plus en possession de leur raison, ainsi font les poètes lyriques: C'est quand ils n'ont plus leur raison qu'ils se mettent à composer ces beaux poèmes lyriques. Davantage, dès qu'ils ont mis le pied dans l'harmonie et dans le rythme, aussitôt ils sont pris de transports bacchiques et se trouvent possédés. Tout comme les Bacchantes qui vont puiser aux fleuves du miel et du lait quand elles sont possédées du dieu, mais non plus quand elles ont recouvré leur raison. C'est bien ce que fait aussi l'âme des poètes lyriques, comme ils le disent eux-mêmes. Car les poètes nous disent à nous - tout le monde sait cela -, que, puisant à des sources de miel alors qu'ils butinent sur certains jardins et vallons des Muses, ils nous en rapportent leurs poèmes lyriques et, comme les abeilles, voilà que eux aussi se mettent à voltiger. Là, ils disent la vérité. Car c’est chose légère que le poète, ailée, sacrée ; il n’est pas en état de composer avant de se sentir inspiré par le dieu d’avoir perdu la raison et d’être dépossédé de l'intelligence qui est en lui. Mais aussi longtemps qu'il garde cette possession-là, il n'y a pas un homme qui soit capable de composer une poésie ou de chanter des oracles.

      Or comme ce n’est pas grâce à un art que les poètes composent et énoncent tant de beautés sur les sujets dont ils traitent - non plus que toi quand tu parles d'Homère - mais que c’est par une faveur divine, chaque poète ne peut faire une belle composition que dans la voie où la Muse l’a poussé : tel poète, dans les dithyrambes tel autre dans les éloges, celui-ci dans les chants de danse, celui-là dans les vers épiques, un dernier, dans les iambes. Autrement, quand ces poètes s’essaient à composer dans les autres genres poétiques, voilà que chacun d’eux redevient un poète médiocre. Car ce n'est pas grâce à un art que les poètes profèrent leurs poèmes, mais grâce à une puissance divine. En effet, si c'était grâce à un art qu'ils savaient bien parler dans un certain style ; ils sauraient bien parler dans tous les autres styles aussi. 

Mais la raison pour laquelle le dieu, ayant ravi leur raison, les emploie comme des serviteurs pour faire d'eux des chanteurs d'oracles et des devins inspirés des dieux, est la suivante : c'est pour que nous, qui les écoutons, nous sachions que ce ne sont pas les poètes, qui n'ont plus leur raison, qui disent ces choses d'une si grande valeur, mais que c'est le dieu lui-même qui parle et qui par l'intermédiaire de ces hommes nous fait entendre sa voix. »
Le dieu chrétien (Dieu) et les dieux ou héros païens (les Muses, Orphée) se confondront alertement dans les esprits, confusion favorisée probablement par Marsile Ficin (1433-1499), poète italien et philosophe qui défendra l’idée d’unité des religions, d’une théologie antique devancière de la chrétienne sans lui être nullement opposée, et qui influencera la poésie du XVIe siècle en établissant la poésie comme art divin. L’humanisme poétique français largement déploiera cet atout maître transformant le poète en être-à-part ; le relai sera ensuite Romantique.)

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